Itinéraire d’un ‘saute-ruisseau sundgauvien’ en Extrême-Orient
“Croire et Oser, Être et Durer”
Peut-on totalement s’échapper de la terre de ses ancêtres ? Cette courte autobiographie n’a pas la prétention de répondre à cette question mais elle raconte l’histoire d’un homme qui, né sur un bout de terre où les siens ont vécu génération après génération, a choisi de s’élancer vers le vaste monde. De l’Alsace à l’Extrême-Orient, son parcours est celui d’un déracinement assumé, d’une quête de nouveaux horizons et, sûrement, en réalité, d’une manière inédite de rester fidèle à ses origines.

Un engagement associatif pour la mémoire, l’histoire et l’Alsace
Car, oui, Claude Jaeck, ce Sundgauvien établi en Extrême-Orient, s’est acharné à ancrer sa vie dans la préservation de cette mémoire française. Cette mémoire c’est un peu sa mémoire. Mais, c’est surtout notre mémoire. Il dédiera à cette cause une large partie de son temps. Et ce, de manière, totalement bénévole.
En 2006, à peine arrivé en Chine, il fonde la Délégation Générale du Souvenir Français de Chine – qu’il dirigera jusqu’en 2019 – et crée ensuite en 2010 la Société d’Histoire des Français de Chine (SHFC). Deux associations dont le but est de rappeler au bon souvenir de ses compatriotes et amis locaux le rôle de ces destins individuels, qu’ils soient militaires, diplomates, missionnaires ou aventuriers.
Avec passion, il mènera des recherches minutieuses sur des figures emblématiques telles que Victor Segalen, Paul Pelliot et l’Amiral Protet. Avec dévotion, il organisera des cérémonies commémoratives, des conférences et des galas pour raviver la flamme du souvenir. En 2012, il initiera même la création d’une médaille en hommage à l’Amiral Protet, héros oublié de la défense de Shanghai contre les rebelles Taiping.
En 2014, Claude fonde aussi l’Amicale des Alsaciens de Shanghai, un espace de rencontre pour les Alsaciens expatriés visant à promouvoir la culture alsacienne à l’international tout en renforçant les liens entre les membres de cette communauté.
Pour lui, même loin, le déracinement n’est que de façade. Paraphrasons Lavoisier : rien ne se perd réellement, rien ne se crée. Tout se transforme.
Enfant d’Alsace, entre tradition et ouverture au monde
Mais revenons aux origines. Né en 1960 dans la pittoresque région des Trois Frontières, à proximité de Bâle en Suisse, Claude Jaeck grandit à Hégenheim, un charmant village alsacien niché dans le Sundgau. Enveloppé par deux collines verdoyantes et sillonné de sentiers bordés de vergers, ce coin tranquille de l’Alsace résonne au rythme des cloches de l’église du village, symboles de spiritualité et de temporalité. C’est ici, dans ce havre de paix, que Claude passe une enfance baignée dans les traditions et la douceur de la vie rurale.
À Hégenheim, l’âme éternelle de l’Alsace prend vie à travers les fêtes de village animées et la richesse culinaire de la région. Jeune garçon curieux, Claude explore les ruelles pavées et les champs ouverts, avide de découvertes. Sa famille, profondément attachée à cette terre, lui transmet non seulement un amour sincère pour les coutumes locales, mais également un sens aigu du devoir et une ouverture au monde : des qualités qui deviendront les piliers de son parcours jusqu’en Extrême-Orient.
Un univers qui dépasse les frontières du Sundgau
Pourtant, rien dans cette enfance paisible ne laissait présager que cet enfant du Sundgau deviendrait un jour un acteur sur la scène internationale, et encore moins dans la lointaine Asie. Les premiers rêves de Claude se dessinent autour des paysages familiers et des récits contés par les anciens, souvent « au coin du feu », où l’on évoque les époques où l’Alsace oscillait entre plusieurs identités.
Mais, à l’âge de 10 ans, sa vie bascule. Il quitte le cocon familial pour intégrer le monde austère des institutions religieuses. Pendant neuf ans, il est formé chez les Pères du Saint-Esprit, puis les Salésiens, dans un environnement strict, marqué par une discipline rigoureuse et des règles spartiates. Ce nouveau cadre de vie, bien que difficile, forge son caractère : il y développe résilience, rigueur et une curiosité intellectuelle insatiable.
À l’École des Missions de Blotzheim, il est captivé par les récits des prêtres missionaires revenus d’Afrique francophone. Ces hommes en soutanes noires, qui avaient passé des décennies à évangéliser dans des contrées lointaines, évoquent des jungles luxuriantes, des villages isolés et des cultures méconnues. Pour le jeune alsacien, ces histoires exotiques ouvrent une fenêtre vers un monde nouveau – bien au-delà des frontières de son Sundgau natal.
Claude poursuit ensuite sa formation à l’Institut Don Bosco de Landser. Là, le calme presque figé de la campagne alsacienne contraste avec ses aspirations croissantes. Les collines environnantes, bien que magnifiques, prennent dans son esprit l’allure d’un « désert des Tartares », immobile dans le temps. Il trouve refuge dans deux passions : le rugby et la lecture. Le rugby, avec son intensité et ses valeurs collectives, lui offre une échappatoire physique et mentale.
Quant à la lecture, elle devient une passion dévorante, un véritable tremplin vers d’autres mondes. Tel un besoin existentiel Claude lis tous les jours, où qu’il soit, quoi qu’il fasse. Il n’est jamais seul avec un livre. Il en lis plusieurs à la fois, passant de l’un à l’autre. S’il devait se définir, dit-il : « je lis beaucoup ».
À travers les récits visionnaires de Jules Verne comme Vingt mille lieues sous les mers et Le Tour du monde en 80 jours, il découvre des aventures extraordinaires qui stimulent son imagination. Les récits des explorateurs du XIXe siècle, tels que David Livingstone en Afrique ou Alexandra David-Néel au Tibet, nourrissent son désir d’exploration et d’aventure.
Les réflexions profondes d’Ernst Jünger, notamment dans Orages d’acier et Sur les falaises de marbre, l’interpellent par leur analyse lucide de la modernité et leur dimension philosophique. Les romans de Jean Lartéguy, particulièrement Les Centurions et Les Prétoriens, lui offrent une vision saisissante des conflits contemporains et de la décolonisation. Claude Farrère, avec Les Civilisés et L’Homme qui assassina, l’immerge dans l’atmosphère troublante de l’Extrême-Orient colonial.
Jean Hougron, à travers sa fresque indochinoise La Nuit indochinoise en six volumes, lui permet de comprendre les complexités de l’Asie du Sud-Est. Quant à Erwan Bergot, ses œuvres comme Sud lointain et 11e Choc lui révèlent la réalité crue des conflits modernes et l’histoire des forces spéciales françaises. Ces lectures diverses enrichissent sa vision du monde et approfondissent son questionnement sur l’histoire comme clé pour comprendre le présent, chaque auteur apportant une perspective unique sur les grands bouleversements du XXe siècle.
Il se plonge également dans les œuvres de ceux qu’il affectionne à appeler les “apôtres helléniens”, notamment le Mémorial de Sainte-Hélène du comte de Las Cases, qui retrace avec passion les dernières années de Napoléon en exil. Cette œuvre majeure, tout comme celles d’autres mémorialistes de l’épopée napoléonienne, lui permet d’appréhender non seulement l’histoire militaire et politique, mais aussi la dimension humaine et philosophique de cette période charnière.
Ces lectures diverses enrichissent sa vision du monde et approfondissent son questionnement sur l’histoire comme clé pour comprendre le présent, chaque auteur apportant une perspective unique sur les grands bouleversements du XIXe et du XXe siècle.
Les débuts d’un destin international
Avec un baccalauréat en sciences économiques en poche, Claude poursuit des études supérieures avec une ambition claire : donner une dimension internationale à son parcours. Son passeport pour aller au-delà de l’horizon… Il intègre le prestigieux Groupe École Supérieure de Commerce de Reims (aujourd’hui NEOMA) et choisit un programme novateur pour l’époque : le Centre d’Études Supérieures Européennes de Management (CESEM). Ce cursus, axé sur l’ouverture européenne, lui permet de développer des compétences fondamentales qui marqueront toute sa carrière.
Animé par le désir d’approfondir sa compréhension des cultures et des économies européennes, il poursuit ses études à l’Université du Middlesex, au Royaume-Uni. Immergé dans un environnement académique multiculturel, il affine ses connaissances en administration des affaires. En 1983, il obtient son Bachelor Degree in European Business Administration, posant ainsi les premières pierres d’une carrière internationale.
Claude R. Jaeck, l’enfant de Hégenheim, entame alors un nouveau chapitre de sa vie. Les horizons lointains, qui l’avaient tant fait rêver pendant son enfance, deviennent peu à peu une réalité tangible.
À la conquête de l’Asie du Sud-Est et de la Chine
En 1977, son parcours prend une tournure inattendue. Alors qu’il obtient son Brevet de Préparation Militaire dans la perspective de faire son Service Militaire dans les rangs de l’École des Officiers de Réserve (EOR), et embrasser une carrière dans l’armée, le destin le conduit ailleurs. Claude effectuera son Service National comme Volontaire du Service National dans l’Administration (VSNA) à Singapour. Ce séjour marque le début d’une immersion profonde dans le monde des affaires internationales.
Affecté à la French Business Association de Singapour, il découvre les rouages du commerce extérieur et révèle un sens aigu de l’initiative. Sous sa contribution, l’association gagne en influence et devient une plateforme essentielle pour les entreprises françaises souhaitant s’implanter en Asie du Sud-Est.
Cette première expérience internationale attire l’attention d’Essilor, qui au terme de son Service National, lui confie en 1985 l’ouverture de son Bureau de Représentation pour l’Asie du Sud-Est. Sa mission : bâtir les bases d’une présence commerciale solide pour le groupe. Claude excelle dans son rôle, forgeant des partenariats stratégiques et contribuant à l’expansion durable d’Essilor dans la région.
À 30 ans à peine, il est nommé Conseiller du Commerce Extérieur de la France en Thaïlande, une reconnaissance prestigieuse qui souligne son engagement et son expertise.
Une carrière en plein essor : l’empreinte de Claude Jaeck en Asie
Fort de ses succès en Thaïlande, Claude décide en 1992 de franchir une étape audacieuse dans sa carrière en fondant sa propre entreprise, Pacific Intertrade Company Pte. Ltd., à Singapour. Avec une vision novatrice, il devient l’un des premiers à anticiper les ouvertures économiques du Vietnam, du Cambodge, du Laos et de la Birmanie. À travers un réseau de distribution exclusif, il réintroduit des marques prestigieuses telles que Cartier dans ces pays, marquant un véritable tournant pour ces marchés émergents.
Parmi ses nombreuses réalisations, la création de Lao Optic à Vientiane et de Royal Optic à Phnom Penh renforce l’accès des populations locales à des produits d’optique de qualité. En 1996, après avoir structuré et consolidé son réseau, il cède son entreprise à Essilor, clôturant ainsi un chapitre entrepreneurial exemplaire.
L’art de vivre français en Asie: une nouvelle mission avec Délifrance
Peu après, Claude rejoint le Groupe Jean-Louis Vilgrain, où il occupe le poste de Directeur du Développement International de Délifrance en Asie. Sa mission, bien que marquée par les défis de la crise financière asiatique de 1997, s’avère une aventure passionnante. Il ouvre des filiales à Bangkok et Shanghai, et lance une franchise à Colombo, diffusant ainsi l’élégance et la gastronomie françaises dans toute la région.
En 1999, il inaugure le premier café-boulangerie Délifrance en Thaïlande, sur Silom Road à Bangkok. L’événement, célébré sous les couleurs tricolores, fait la une des médias locaux et incarne le succès d’une entreprise française dans un contexte économique difficile.
La Chine: un nouvel horizon à conquérir
À la fin des années 1990, la Chine commence à s’éveiller économiquement. Claude est appelé à siéger au Conseil d’Administration de Swank International Group, un fabricant de lunettes basé à Hong Kong. Il fera partie de l’équipe chargée par la banque HSBC de restructurer l’entreprise en difficulté, il redéfinit son modèle opérationnel, sauvant ainsi des milliers d’emplois en Chine du Sud.
En 2004, il rejoint le Groupe Arc International et s’établit à Shanghai. Nommé Directeur Général des Opérations chinoises, il prend la tête d’une usine de 1 000 employés à Nankin, produisant 130 tonnes de verre par jour pour répondre à la demande locale. Grâce à sa vision stratégique, Arc International devient un leader incontournable du marché chinois des arts de la table, atteignant jusqu’à 70 % de parts de marché selon les enseignes.
Une passion pour l’entrepreneuriat et l’innovation
Après plusieurs autres succès industriels, Claude décide en 2014 de créer son propre activité de conseil à Shanghai, mettant son expertise au service d’entreprises internationales en Chine et en Asie en général. En parallèle, il devient partenaire chez Relecom & Partners à Paris et collabore avec Ambrosetti, un cabinet de conseil basé à Milan.
En 2022, il rejoint un projet ambitieux en Malaisie autour de la culture et de la transformation de la carrageenan, une algue marine utilisée dans diverses industries. Ce projet illustre son engagement pour des solutions durables et innovantes. Après avoir structuré cette activité, il cède ses parts en 2024, marquant la fin d’une autre aventure entrepreneuriale réussie.
Cet épatant parcours professionnel ne doit pas se concevoir au loin de son implication associative : Claude a su lire dans les tendances émergentes les prémices d’opportunités à saisir. Sa compréhension fine des dynamiques culturelles, puis géopolitiques, lui a permis de concevoir des stratégies parfaitement en phase avec les réalités de chaque contexte. Ajoutez à cela un leadership transformationnel affirmé, une curiosité intellectuelle sans limites et une remarquable capacité d’adaptation, et vous obtenez les clés de son succès.
À ceux qui l’interrogent sur d’éventuelles erreurs, il répond sans détour : « Qui ne fait rien ne fait pas d’erreurs. » Et d’ajouter avec humilité : « Chaque erreur m’a fait grandir. » Une philosophie qui illustre son pragmatisme et sa capacité à transformer chaque obstacle en leçon de vie.
Aujourd’hui, Claude partage son temps entre sa plantation en Esaan, au Nord-Est de la Thaïlande, la dynamique Bangkok, son Alsace natale et Shanghai, une ville que l’on ne quitte jamais vraiment. Il continue d’incarner un modèle d’équilibre entre enracinement local et ambition internationale, entre tradition et modernité, bâtissant des ponts entre l’Europe et l’Asie à travers ses projets et son engagement.
Claude Jaeck n’est pas seulement un homme d’affaires ou un historien : il est le témoin vivant d’un dialogue entre les cultures et d’un parcours hors du commun, ancré dans l’Alsace mais ouvert sur le monde.