Xu Zhongnian (1904-1981), archives privées d’un professeur de français shanghaïen du XXe siècle

Né en 1904 et décédé en 1981, Xu Zhongnian (Sung-Nien Hsu) est professeur en langue et littérature françaises, traducteur et écrivain. Il est connu pour le rôle qu’il a joué dans les échanges littéraires et culturels franco-chinois, avec de nombreuses traductions littéraires en français et en chinois, des dictionnaires, des histoires littéraires et des romans. Il est significatif comme objet de recherche pour avoir servi de chaînon dans le transfert du savoir littéraire entre la Chine et la France, en reliant des personnalités, des publications et des établissements importants de son époque.
Inédits, les documents laissés par Xu Zhongnian, dont une grande partie est autographe avec des traces de modification, permettent de comprendre la fabrication du savoir en donnant accès aux coulisses de la scène littéraire, et de percevoir le professeur chinois parfois non pas en tant que figure intellectuelle abstraite, mais en tant qu’individu vivant.
Pour notre conférence, nous allons d’abord retracer des points de repère de la vie de Xu Zhongnian en nous appuyant sur « Ziwo jianshi » [« Brève Histoire autobiographique »], document manuscrit achevé vers 1978. Puis nous aborderons la traduction de la littérature chinoise par Xu Zhongnian en nous concentrant sur une lettre adressée par ce dernier le 10 mars 1929 à Alphonse Monestier, fondateur de la revue La Politique de Pékin. Nous allons démontrer comment Xu Zhongnian a cherché à atténuer dans ce document, par ses remords et ses rajouts, une position nationaliste qu’il défend pourtant fermement dans sa thèse rédigée au même moment consacrée à Li Bai. Enfin, nous allons nous pencher sur une lettre adressée par Xu Zhongnian le 6 novembre 1945 à Vadime Elisseeff, au sujet de La Revue de la littérature française, dont notre professeur chinois est rédacteur en chef. Nous allons révéler des liens étroits entre ce périodique et l’Ambassade de France en Chine, basée à l’époque à Chongqing, avec une analyse des auteurs de la revue, mais également des lettres, un bulletin de budget et un récépissé.
Nous allons présenter, en abordant les sujets précédemment évoqués, une grande variété de documents historiques, qui témoignent des échanges qu’entretenait Xu Zhongnian avec des écrivains français tels que Paul Morand et Paul Arnold, avec des sinologues et orientalistes, de Paul Pelliot et Georges Maspero à René de Berval, Robert Ruhlmann et Lucien Bianco, en passant par John King Fairbank, ainsi qu’avec des institutions intellectuelles, dont La Nouvelle Revue française, l’Alliance française et l’Association amicale franco-chinoise (« Zhongfa lianyi hui »). Divers documents privés, tels que passeport, carte d’étudiant, carte de travail, liste des invités au mariage, carnets de notes de différentes époques, feront également l’objet d’une brève évocation en illustration de notre sujet.

Yang Zhen est professeur associé au département de langue et littérature françaises de l’université Fudan et membre associé du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (CECMC-CNRS/EHESS). Il est titulaire d’un doctorat de Sorbonne Université. Yang Zhen est spécialiste de la littérature chinoise moderne et des relations littéraires et culturelles franco-chinoises, en particulier dans la Chine de la première moitié du XXe siècle. Il est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages, dont La Littérature française en Chine. Les Premières Modernités, numéro chinois de Babel-Littératures plurielles, no 47 (éd.) (Arcidosso, Effigi, 2023), La Littérature française dans les revues littéraires chinoises entre 1917 et 1937 (Paris, Honoré champion, 2022 (version en français) / Beijing, Presses de l’Université de Pékin, 2022 (version en chinois)) et Baudelaire et la Chine (éd.) (Shanghai, Presses de l’ÉCNU, 2021).

Louis Laloy, un musicologue français passeur de musique chinoise

Homme aux multiples facettes, Louis Laloy est une figure musicale d’importance durant la première moitié du XXe siècle français. Premier titulaire d’un doctorat en musicologie à la Sorbonne, il se passionne pour la langue, la littérature et la philosophie chinoises. Il deviendra notamment chargé de cours à l’Institut des Hautes Études Chinoises de Paris. S’appuyant autant sur les grands classiques chinois que sur des ouvrages européens plus modernes, il écrit en 1910 La Musique chinoise, livre dans lequel il met en lumière l’importance des conceptions de théorie musicale chinoise. En 1931, il est envoyé en mission officielle en Chine et il rédige alors Miroir de la Chine.

La conférence sera l’occasion de revenir sur le parcours de Louis Laloy pour comprendre quels ont pu être les moyens utilisés par lui pour rendre compréhensible cette culture lointaine et étrangère.

Professeur associé au sein de la Faculté d’Études françaises et francophones de l’Université des Langues étrangères de Beijing (BFSU) et chargé de cours invité, pour l’année 2023-2024, à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), Roland Scheiff est un musicologue belge de 38 ans.

Judith Gautier, la première femme en sinologie : originalités d’un parcours et d’un regard

Qui est Judith Gautier ? La fille aînée de Théophile Gautier, une amie de Victor Hugo, la correspondante de Richard Wagner ? Certes, mais c’est également la première femme élue à l’Académie Goncourt, et encore, surtout, une pionnière de la traduction de la poésie chinoise. Avec son recueil mondialement connu, Le Livre de Jade, elle a ainsi introduit de nouvelles formes poétiques dans la langue française.

Différente des étudiants de chinois de son époque, la formation de Judith Gautier à la langue et la culture chinoises s’avère unique, se faisant à la marge des cursus universitaires. À une époque où très peu de Chinois pouvaient atteindre le continent européen, elle pourtant a bénéficié de cours privés, assurés par le lettré Ding Dunling. Elle a été conduite devant le sanctuaire de la culture chinoise pour y entamer la construction d’un monde exotique imaginaire, où l’on voit une fusion du « beau idéal antique » avec le « beau idéal moderne ».

Judith Gautier est l’un des témoins importants de l’histoire des échanges culturels entre la Chine et la France : elle a d’ailleurs entretenu des relations amicales avec les premiers envoyés chinois, tels que Yu Geng ou Sun Baoqi. Sa participation aux activités organisées à la Légation de Chine à Paris, ses visites au pavillon chinois lors des Expositions universelles l’ont transformée en une « vraie Chinoise », comme elle l’affirme lors de son élection à l’Académie Goncourt : « Je suis une Chinoise […] Je serai, toute mon existence, une sorte d’Extrême-Orientale détachée des choses de son temps et de son milieu […]. »

Yichao SHI est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Université Jiaotong de Shanghaï. Elle est titulaire d’un doctorat de Sorbonne Université et concentre ses recherches sur la littérature française et l’histoire des échanges culturels entre la Chine et la France. Elle préside actuellement un projet de recherche sur la Chine rêvée de Judith Gautier, soutenu par la Fondation nationale des sciences sociales de Chine (n°21CWW021) et s’intéresse aux traductions et aux créations littéraires de l’écrivaine au sujet de la Chine.

Vitraux de Shanghai : histoire et découvertes

La ville de Shanghaï est à bien des égards un lieu unique en Chine, car elle s’est retrouvée, par la force de l’Histoire, au confluent des civilisations. Ainsi, dès 1846, la métropole s’est construite sur des apports distincts qui font d’elle une ville cosmopolite sans équivalent. Témoins de la créativité des urbanistes, des architectes, et surtout des artisans d’art, les vitraux de Shanghaï sont néanmoins méconnus.

Cet aspect du patrimoine historique chinois demeure en effet largement inexploré et n’a jamais fait l’objet d’une recherche exhaustive, même à l’échelle de la ville. Voilà une opportunité unique de découvertes et de recherche, prenant la forme d’une véritable chasse au trésor englobant l’identification, la classification et l’exploitation des ressources locales.

Notre projet de recherche, lancé en avril 2022, représente un effort collaboratif soutenu par la Société d’Histoire des Français de Chine, avec le précieux soutien d’un consortium composé de chercheurs, de professionnels et d’amateurs du patrimoine. La conférence présentera les premiers résultats de notre recherche, introduira la technique du vitrail, discutera des principaux problèmes de conservation-restauration des vitraux dans leur milieu et les opportunités de développement du projet.

Conservatrice-restauratrice d’œuvres d’art spécialisée dans le vitrail, Marta Kamińska est titulaire d’un doctorat de l’Académie des Beaux-Arts Jan Matejko de Cracovie (Pologne). Depuis 2010, elle concentre ses recherches sur les vitraux historiques, y compris les problèmes et les méthodes de conservation-restauration, l’histoire de cet art, ou encore application des techniques instrumentales d’analyse pour les vitraux historiques. Membre du comité polonais de Corpus Vitrearum International, elle-même conceptrice et créatrice de vitraux, elle collabore avec divers studios en Chine et en Europe.

La France dans l’ombre des Douanes chinoises

Durant la révolte des Taiping (1851-1864), les triades shanghaïennes, originaires du Guangdong et du Fujian, renversèrent à la fois l’autorité civile locale et la douane de Shanghaï. Les consuls des trois puissances en présence, la France, l’Angleterre et les États-Unis, gênés de cette situation, décidèrent d’établir une nouvelle douane sous la surveillance d’inspecteurs originaires de leurs pays respectifs, ce qui marqua de fait la naissance de la douane chinoise moderne. Le système douanier établi à Shanghai fut en effet adopté, un peu plus tard, par la cour mandchoue et étendu à l’Empire à travers les ports ouverts au commerce étranger (Traité de Tianjin, 1858). Mais pourquoi la France, qui fut pourtant l’un des membres fondateurs de la nouvelle douane en 1854, accepta-t-elle en 1861 une douane chinoise sous contrôle anglais ? Quelles causes, quels événements amenèrent la France à perdre alors son influence au sein d’une organisation d’importance stratégique ? Posant ces questions, la conférence nous ramènera au début de l’expansion française en Chine, entre les premières et seconde Guerres de l’Opium (1839-1842 et 1856-1860) ; elle dévoilera le caractère ambigu de la relation anglo-française en Extrême-Orient, faite de coopération et de concurrence, et présentera enfin une nouvelle interprétation du rôle de diplomatie impériale française en Chine.

Né à Shanghai, Ding Yijun est docteur en histoire. Sa thèse de doctorat, effectuée à l’Université Jiaotong de Shanghaï, portait sur a représentation du corps chinois dans les textes français du dix-neuvième siècle. Il est désormais chercheur postdoctoral au sein du département d’histoire de l’Université Normale de Shanghai. Dans ce cadre, il s’intéresse particulièrement à l’histoire de sa ville natale et aux archives diplomatiques françaises. Également luthiste, il pratique la musique chinoise traditionnelle du Jiangnan, en particulier le pingtan de Suzhou.

Une histoire de l’Alliance Française de Shanghai

Depuis 1992, l’Alliance Francaise de Shanghai fait partie du paysage culturel et educatif de la métropole shanghaïenne, relais incontournable de la francophonie et des relations franco-chinoises sur les bords du Huangpu. Une histoire qu’on associe naturellement à la reouverture de la Chine et et à son décollage économique… Et pourtant, se pourrait-il que l’aventure ait commencé plus tôt ? Remontant la trace de mystérieux livres estampillés “Alliance française de Changhai” réapparus au Japon,cette conference nous propose de découvrir une histoire plus que centenaire. Mêlant jeu diplomatique education et culture mais aussi rencontres interculturelles et quelques destins hors du commun, nous verrons que depuis la fin du dix-neuvième siècle, la trajectoire de l’Alliance Française se confond avec le destin de Shanghai.

Christophe Koeltgen, Professeur documentaliste au Lycée Français de Shanghai et diplômé en histoire-géographie, il anime depuis 2020 le pôle recherches de la Société d’Histoire des Francais de Chine. Arrivé à Shanghai en 2016 pour travailler à la médiathèque de l’Alliance
Française, il s’intéresse depuis à l’histoire de la culture et de l’education a Shanghai, plus particulièrement au sein de l’ancienne Concession française.

Le Cinéma à Shanghai

La ville de Shanghai est, dans les premières décennies du vingtième siècle, un haut lieu de la production cinématographique en Asie.
Le « Paris de l’Orient » est à la fois un lieu de tournage, de production et de diffusion, mais c’est aussi un espace représenté par ce même cinéma, depuis les scenes de la vie quotidienne jusqu’aux lieux de plaisirs.
Autant de variété, autant de complexité cette conférence portera sur la présence du cinéma à Shanghai au vingtième siècle, avec un focus sur la période des années 1930 et 1940.

Anne Kerlan, normalienne, agrégée, est directrice de recherche au CNRS. Elle est à présent chercheuse au Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (CNRS-EHESS). Elle développe principalement ses recherches dans le domaine de l’histoire visuelle de la Chine moderne et contemporaine. Ses travaux les plus récents portent sur l’histoire du cinéma chinois, notamment le cinéma de la période républicaine (1912-1949).

Et Shanghai demeure

Chine : l’empire des langues

VOYAGE AU CŒUR DES DIFFÉRENTES LANGUES CHINOISES

Par Frederic Ture

La Chine est souvent representée et perçue comme un monolythe : vaste, vénérable et, surtout, homogène. La réalité est autre, même si depuis plus d’un siècle l’État central pousse à la normalisation. La langue chinoise est le miroir de cette réalité complexe : il n’y a pas une langue chinoise, mais des langues chinoises. S’il y a une langue chinoise “ancêtre et mère originelle” commune, l’histoire et la géographie de la Chine ont conduit à la naissance et à l’épanouissement d’une multitude de chinois (au pluriel) au sein du pays, mais aussi au-delà de ses frontières historiques.
Ces langues sont le témoin du passé riche et tumultueux des communautés qui les parlent. Elles sont une fenêtre donnant vue sur le passé de la Chine, de sa richesse et diversité culturelle et de son influence dans le monde.

Frederic Ture – Entrepreneur et dirigeant d’entreprise dans le secteur du luxe, Frederic vit en Chine depuis plus de 20 ans. De par sa profession et ses centres d’intérêt, il a pu sillonner la Chine (30 provinces et plus de 120 villes visitées) et a eu le privilège d’être le témoin des changements colossaux de ce vaste pays depuis le début du siècle.
De parents Français et Chinois. Frederic se passionne pour les langues, l’histoire et la culture. Bilingue en cantonais, mandarin et courant en japonais, il est photographe amateur et voyageur à ses heures perdues.

Le sanctuaire marial de Sheshan

fleuron des Jésuites français à Shanghai

Moins connus que Xujiahui et Tushanwan, la basilique et l’observatoire au sommet de la colline de Sheshan appartiennent également au patrimoine jésuite majeur de Shanghai. La conférence retrace les étapes de la conquête de la colline bouddhique par les missionnaires catholiques qui y substituèrent un pèlerinage marial au culte séculaire de Guanyin. Chaque étape s’accompagne de constructions : un petit oratoire érigé au sommet en 1867, remplacé par une première église dès 1871-1873, puis par la grande église actuelle en 1922-1936, élevée au rang de basilique mineure en 1942. Le premier observatoire astronomique moderne de Chine couronne en 1899-1901 le sommet de la colline d’un pôle scientifique cher aux Jésuites. Des missionnaires architectes et les frères charpentiers français, belge, portugais et allemand œuvrèrent à Sheshan. Outre les aspects architecturaux, la conférence évoque également le déroulement d’un pèlerinage sur le flanc sud de la colline, ses interactions sociales et économiques avec Shanghai, et son évolution locale (Songjiang), régionale (Jiangnan) et nationale (Chine) en moins de trois générations.

Thomas Coomans, professeur à l’Université de Louvain (Belgique), enseigne l’histoire de l’architecture et la conservation du patrimoine bâti. Ses recherches portent notamment sur les églises bâties en Chine (1840-1950) et aux transferts architecturaux entre Europe et Chine. Son dernier livre consacré à Sheshan à Shanghai paraît en juin aux Presses universitaires de Tongji.